16 septembre 2005



Le Bizoc, Commune d’Omet
Canton de Cadillac



Extrait du manuscrit :



Malheur à l’impudent qui s’aventurerait sans précaution dans la forêt du Bizoc. Non qu’il y puisse laisser la vie, mais plus certainement son innocence. Car cette forêt, pourtant placée sous la haute protection du monastère du Broussey pour le spirituel et du château de Benauge pour le temporel, tourmente les jeunes et les vieux, les femmes et les hommes. Elle a la réputation de tant exciter les sens que son air fait prestement monter les flux du désir.

Les anciens disent que cette vallée boisée, humide et luxuriante en toute saison, a la particularité de produire des parfums musqués qui tantôt rappelle la sueur masculine, tantôt la suette féminine et que ces vapeurs mêlées ont tôt fait de vous faire tourner la tête. Présent de la nature ou œuvre du malin, voilà une croyance solidement ancrée dans la région. On raconte aussi que ces bois recevaient jadis la visite fréquente d’illustres habituées, les princesses de Benauge. C’était à une époque où La Benauge était en Entre-Deux-Mers ce qu’était le Captalat de Buch dans les landes : un royaume à part entière qui podssédait sa capitale, ses châteaux, son suzerain et sa cour.

C'était dans le siècle de mœurs chevaleresques où fleurissait la langue romane, où, des rives de l'Océan aux bords de la Méditerranée, il n'était si grand prince ni si petit baron né au pays de la langue d'Oc, qui ne tint à honneur de pratiquer le gai savoir, lou gay saber, comme on disait à Toulouse, à Nîmes, à Narbonne et à Bordeaux.


[photo ci-conte : la fontaine de la comtesse]

Parmi les belles châtelaines tendres et passionnées qui inspirèrent au moyen âge la muse gasconne, et dont le nom fut répété maintes fois dans les vallées de l'Aquitaine, se trouve au premier rang la très belle Guillemette de Benauge, épouse de Pierre de Gavarel, seigneur de Langon et de Saint-Macaire. On nous permettra de retranscire ici un tenson ou débat d'amour dont elle fut l'héroïne, et dans lequel figure Geoffroy Rudel, seigneur de Blaye, l'un des plus célèbres troubadours du midi de la France, guerrier et poète, qui passa sa vie à rompre des lances et à composer des vers.

« Savari, dit le tenson, vint un jour faire visite à la vicomtesse Madame Guiilemette de Benauge, dont il était amoureux, menant avec lui Elias Rudel, seigneur de Bergerac, et Geoffroy Rudel, seigneur de Blaye. Ils la prièrent tous trois d'amour.... Guillemette commença à regarder amoureusement Rudel de Blaye, qui était assis devant elle. En même temps elle prit la main d'Elias de Bergerac, et la lui serra d'une manière fort tendre. Pour Mossen Savari, elle lui marcha sur le pied en souriant et soupirant. Savari alla trouver Gaucelin Faidit et Hugues de la Bacalariat. Il leur demanda par un couplet auquel des trois la dame de Benauge avait témoigné le plus d'amour.
GAUCELIN. — Je préfère le regard doux et tendre; il part du fond du cœur ; au lieu que donner la main est une gracieuseté que les femmes font à tous ceux qu'elles accueillent honnêtement ; et marcher sur le pied, n'est point une marque d'amour.
HUGUES. — Le regard ne signifie rien, selon moi ; car il s'adresse à tous aussi bien qu'à celui qui en conclut follement qu'on l'aime. Je ne fais point cas non plus de marcher sur le pied. Mais lorsqu'une main bien blanche, sans gants, serre doucement son ami, c'est une preuve certaine d'amour que le cœur envoie.
SAVARI. — Je me félicite de ce que vous m'avez laissé le meilleur. Marcher sur le pied est une faveur dérobée à la vigilance des médisants ; et puisque l'ami l'a reçue en riant et avec joie, il paraît bien que c'est un amour franc et sincère qui l'a donnée.... »
Le débat qui divisait les trois poètes méridionaux ne fut pas vidé, et Guillemette de Benauge seule eût pu dire qui de la main, du pied ou du regard tendre, avait été le plus favorisé.

Et c’est à cette fontaine aux formes sensuelles que tous se rendaient pour étancher leur soif de plaisir et composer des chants d’amour en compagnie des créatures sylvestres visibles ou invisibles. A la fin du XIVe siècle, l’héritière de Gaston Phébus, l’épouse d’Archambaud de Grailly, Isabelle de Foix, la Comtesse de Benauge dont la Légende Dorée narre les aventures, s’y faisait conduire. Elle prêtait à cette source, dit-on, des vertus aphrodisiaques. On peut encore s’y rendre par un chemin pittoresque, dégagé et encore grandement fréquenté en toute saison.





[Photo ci-contre : petit ouvrage de pierre vu au cours de la promenade]

Ma visite sur place :



Je n’ai pas trouvé d’infos sur Le Bizoc, mais effectivement, cette légende est évoquée dans le Flohic sous l’entrée « Omet ». Les rédacteurs ne parlent que de la fontaine et de ses vertus aphrodisiaque. Il y est écrit : « Selon la légende, la terrible comtesse de Benauges venait s’y abreuver, portée par quatre valets, fortement sanctionnés s’ils venaient seulement à trébucher »

Ne sachant où orienter mes pas, je suis donc allé dans un premier temps au village d’Omet, haut perché à 90 mètres et depuis lequel on a une belle vue sur le château de Benauge d’un côté et la vallée de la Garonne de l’autre. J’ai usé de ma méthode favorite dans mes pérégrinations : le contact direct avec l’habitant, toujours prompt à renseigner le curieux et source essentielle d’anecdotes. Rencontrer quelqu’un qui vous renseigne, c’est déjà faire la moitié du travail. Et je ne fus pas déçu. Mes deux interlocuteurs âgés furent d’abord amusés de me voir chercher le bois et la fontaine au sommet d’un plateau dégarni et puis, après s’être un peu moqué à mes dépends (c’est le prix à payer pour qu’ils daignent vous ouvrir leur malle aux trésors), ils m’ont indiqué la direction en me prévenant que le lieu était interdit de promenade par arrêté municipal. Surpris, je leur en demandais la raison. Et bien, d’après eux, les jeunes vont se masturber dans les carrières. On aurait retrouvé des revues pornographiques, des préservatifs usagés et on se demande même si l’endroit ne s’est pas transformé lieu de partouzes pour les plus hardis.

J’ai eu quelques difficultés à garder mon sérieux et à faire mine de compatir. Mais au fond, je crois que ces deux personnages jubilaient intérieurement en me racontant cette version des faits. Je suis parti en oubliant de leur demander s’ils connaissaient l’existence de la légende reportée dans le manuscrit, tellement j’étais impatient de me goûter par moi-même à l’étrange pouvoir de cette forêt.

Pour vous y rendre il faut passer le lac de Laromet, passer le Bizoc (mot gascon dont la signification m’échappe) et guetter sur la droite un chemin qui s’enfonce dans la forêt juste avant le pont. Et effectivement, on est accueilli par un panneau interdisant l’entrée par arrêté municipal. Mais à bien lire, cet arrêté ne concerne que les carrières et, ne serait-ce que pour le danger qu’elles représentent, j’entendais bien respecter cette interdiction.

Me voilà pénétrant enfin en forêt. Il est vrai qu’elle est curieuse, parcourue de ruisseaux très encaissés, effectivement tiède et humide, et réellement odorante, remplie d’arômes et d’effluves de sous-bois. Dire que cet environnement provoqua un effet aphrodisiaque sur moi serait très exagéré. Mais il est vrai que l’enchevêtrement des chemins qui désoriente facilement, ces ruines pittoresques et noires que forment les carrière et qui semble vouloir vous avaler, la faune bruyante et la flore omniprésente, tout ceci mêlé enivre légèrement. Et après une bonne heure de recherches, j’ai fini par trouver la fontaine. De prime abord, elle n’a pas la sensualité évoquée mais à y repenser, il est vrai qu’elle dégage un charme particulier. Je n’ai pas bu de son eau, la grenouille qui a plongé à mon arrivée ne m’y engageait guère et je pense qu’il serait même dangereux d’en avaler une goutte dans ce siècle. Mais je m’y suis reposé un instant, faisant revivre ses grades heures en imagination.

Ne comptez pas sur moi pour vous dire exactement où la situer, il faut être captif de la forêt pour goutter au charme de cette légende. Sachez seulement qu’elle existe bel et bien toujours, et qu’un petit morceau de bois gravé vous confirmera que vous avez bien touché au but. Bonne traversée et, si vous en revenez sain de corps et d’esprit, racontez ici ce que vous avez ressenti…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

extraordinaire!