15 septembre 2005


Beguey,


canton de Cadillac


Extrait du manuscrit :


Il existait à Béguey, autrefois appelé Neyrac, un château dont on trouve encore trace dans les actes des Sénéchaux de Bordeaux et de Bazas. Ce n’est ni la maison noble de Viviane, du Peyrat, de Galeteau et ni encore les maisons de Boisson ou de la Salle de Trajet qui bordent l’Euille. A mon humble avis, la Tourasse avec sa source gardée par une haute muraille perchée sur le promontoire calcaire, pourrait avoir été ce lieu sans, cependant, que l’on puisse en apporter aucune preuve.


Au mois de novembre d’une année que l’histoire n’a pas retenue, il se passa un phénomène bien étrange dont le bois d’une porte garde encore le souvenir. Les racines d’un chêne, arbre à forte symbolique, firent remonter au jour une petite idole de pierre, probablement d’origine païenne que les habitants prirent pour une vierge miraculeuse. Et il est vrai que ce ne sera pas la seule statuette qui, soit déterrée sous le pied d’un bœuf, entendez sous le fer de la charrue, soit remontée à la surface d’étrange manière, se verra directement liée à une intercession divine. Aussi, la statuette fut portée sur la place du village, on célébra sa venue par des festivités ad hoc et on la porta dans l’église paroissiale qui n’a plus rien à voir avec la toute nouvelle église. Il s’agissait d’une église romane, modeste mais jolie, qui menaçait ruine et que l’on a préféré détruire pour reconstruire celle que l’on voit à présent. Mais revenons à notre affaire, voilà donc notre idole humblement installée dans le chœur de l’église lorsque les habitants de Beguey, fatigués des réjouissances regagnent leurs demeures respectives pour y trouver un sommeil réparateur. Celui-ci sera de courte durée, sitôt la nuit tombée, le ciel se met à gronder et les éclairs illuminent la voûte céleste. Il tonne et il pleut tant que quelques paysans sortent pour mettre les bêtes à l’abri ; il souffle si fort que même la lourde porte de l’église s’ouvre avec fracas. C’est alors que certains furent les spectateurs muets d’un spectacle qui les hantera jusqu’à leur dernier soir. Ils furent plusieurs à pouvoir témoigner que, cette nuit là, la statuette flottait dans les airs, transportée dans un halo de lumière sous la pluie battante. Elle était ainsi dirigée par une main invisible qui la maintenait à peine plus haut qu’à taille d’homme et la déplaçait dans une parfaite horizontalité. Les témoins se signèrent sur son passage et se réfugièrent dans leurs masures sans oser donner l’alerte. Ce n’est qu’au petit matin, avec les premiers rayons du soleil, que l’on découvrit que la vierge avait regagné sa place primitive. De l’église, elle s’était déplacée jusqu’à se lover dans le creux de ce même chêne dont les racines l’avait extirpé de l’oubli la veille. Cette aventure créa une vive émotion dans la région et Beguey fit pour un temps le centre des discussions des Cadillacais. La leçon fut bien comprise, la statue ne bougea plus de ce jour et l’on construit autour. A l’emplacement du chêne, on édifia une chapelle que l’on baptisa Notre-Dame du Casse (le casse étant le chêne en gascon) et sur la porte d’entrée on inscrivit cette phrase que l’on peut encore voir aujourd’hui : VERE LOCUS ISTE SANCTUS ET EGO NESCIEBAM CAP. 2 1640. Une phrase tirée du bréviaire romain et que l’on peut traduire par Ce lieu est vraiment le lieu saint et je ne le savais pas. Pouvait-on mieux dire ? Notons aussi que sur les pieds droits de la porte on peut lire le monogramme du Christ IHS et celui de la vierge M et que, au dessus de la porte du bas-côté sud, on lit HAEC EST DOMUS DOMINI ET PORTA COELI (Cette maison est la maison du Seigneur et la porte du Ciel). Cette anecdote est d’autant plus curieuse que le 29 novembre est le jour de la Saint Saturnin qui est aussi le saint patron de la commune. Saint Saturnin, nous dit Fortunat, fixa son siège épiscopal à Toulouse. Mais ce saint que l’on nomme aussi volontiers Saint Sernin en Gascogne, fut attaché à un taureau qui le traîna avec tant de violence que l’on vit bientôt la cervelle sauter hors de la tête et les entrailles sortir du corps. Puis ses membres se détachèrent et les rues furent teintes de son sang. La corde se rompit et le tronc du saint resta dans la plaine au delà des portes de la ville. Le crime qu’avait commis le saint pour être ainsi martyrisé fut de passer trop près du capitole, principal temple des idoles et d’avoir troublé par sa présence le culte païen. Après deux siècles de tranquillité, rien ne semble devoir à nouveau troubler le village de Beguey qui s’alimente en eau au « puits de la paresse ». Quant à la statue elle a disparue en même temps que les phénomènes surnaturels, j’ignore ce qu’elle est devenue. La chapelle, elle, sert aujourd’hui de cellier et d’atelier de tonnellerie.



Ma visite sur place


Très excité par cette histoire, je jetais un œil rapide sur le Flohic avant de prendre ma voiture. Cette histoire y figure mais la version qui en est donnée diffère de celle reportée dans le manuscrit : la vierge serait apparue à un bûcheron directement dans le creux de l’arbre. Je préfère de beaucoup la version plus romanesque du manuscrit qui, de plus, a le mérite de donner une raison d’être à l’inscription latine. Le Flohic apporte une intéressante adition : la chapelle aurait été détruite puis reconstruite au XVIIe, car telle avait été la promesse des habitants de Beguey si Notre Dame du Casse les sauvait de la peste, ce qui advint miraculeusement.

Me voilà donc arrivant à Beguey, village trop proche de Cadillac pour ne pas être éclipsé. Pourtant, toute la partie entre la D10 et la Garonne, du pont à l’estey de l’Euille se jetant dans le fleuve, mérite qu’on s’y promène. Quelques maisons anciennes ont su échapper aux remaniements abusifs. Si on prend le chemin de l’embarcadère (apparemment la Garonne arrivait au pied des maisons au début du XIXe) et qu’on le poursuit jusqu’au bout à pied ou à VTT, on s’offre une jolie ballade sur les rives que l’on peut boucler par le chemin de la Conche. On découvre alors des plages sur la Garonne, des cabanes de pêcheurs avec leurs carrelets et on devine l’activité festive et portuaire qui devait régner jadis ici, sous la bienveillance du château des ducs d’Epernon.

J’ai mis un peu de temps à trouver la chapelle (j’ai du interroger une native de Beguey) et pour cause, elle a été si modernisée que seul sa façade la distingue encore un peu d’une maison. Elle se trouve rue de la chapelle, c’est elle qui fait l’angle de la bifurcation en langue de serpent qui débouche sur la D10. Je n’ai trouvé aucune des inscriptions décrites si ce n’est la pierre avec les monogrammes. Et encore, pas à l’endroit où elle est décrite. Il est dommage qu’un lieu porteur d’une si curieuse légende n’ait pas su garder son prestige. Mais bon, la chapelle existe encore, mutilée certes, mais c’est déjà ça.

Mais le plus étrange m’attendais de retour chez moi. Ce jour là, j’ai fait huit photos à Beguey. Elles sont toute absolument normales et de bonne qualité sauf… les deux de la chapelle ! Mon appareil est un Kodak numérique DC240, les réglages étaient tout à fait habituels et c’est la première fois que je vois un tel résultat. Le soleil frappait l’écran LCD et je n’ai pas pu contrôler la qualité des photos sur place. Je vous avoue que je m’interroge encore sur cet incident vu que cette série de deux photos anormales est prise en sandwich entre des photographies tout à fait correctes d’autres bâtiments. Et je vous donne ma parole d’honneur que cet incident est tel que je le rapporte, sans supercherie de ma part. Du coup, la rencontre avec la chapelle de Beguey restera dans ma mémoire comme un instant vraiment singulier.





Quant à la Tourasse, c’est une propriété privée, je n’ai pas pu y entrer. Enfin, en ce qui concerne le puits de la paresse, je n’ai trouvé aucun indice.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Hmmm, passionant !!

J'étais déjà allé traîner à Beguey il y a quelques années... C'est vrai que les maison au bord "des anciens quais" ont quelquechose... Et j'avais eu aussi du mal à localiser la chapelle trop remaniée... Mais la savoir là, suffit à exciter l'imagination.

Par contre je n'avais jamais entendu parler de cette légende qui rajoute beaucoup à la visite sur place.

Je crois me souvenir que près du Moulin de Tassin il y a des carrières gallo-romaines à ciel ouvert...

En tout cas, il me tarde de lire une autre histoire tirée de ce mystérieux ouvrage...

Harvey in France a dit…

Je suis en train de dresser une liste des fontaines et sources dites miraculeuses en Gironde et de les photographier et je trouve une fontaine aphrodisiaque vraiment miraculeuse. Est-ce que vous pouvez me passer plus de précisions sur l'endroit où se trouve cette fontaine ?
Harvey MORGAN
harvey.in.france@gmail.com